.... et toutes ses dents ?
À l’occasion des 120 ans de la loi de séparation des Églises et de l’État, relire les positions de la CFDT Éducation formation recherche publiques depuis qu’elle est le Sgen-CFDT, permet de comprendre ce qu’est la laïcité : à la fois un principe structurant le vivre-ensemble, un enjeu professionnel quotidien, et un enjeu démocratique majeur face aux menaces inégalitaires et autoritaires. L’École est le lieu où se joue la promesse laïque d’émancipation.
120 ans de la loi de 1905 : Laïcité, École et démocratie
La loi de 1905 apparaît comme un cadre stabilisé. Les grandes tensions historiques, essentiellement liées au catholicisme, ont été apaisées par les lois Debré et les accords Lang-Cloupet. L’École, longtemps terrain d’affrontement, bénéficiera pendant un certain temps d’un équilibre reconnu, même s’il reste contesté par endroits.

Rappelons que la laïcité est constitutive de l’histoire de la CFDT et du Sgen-CFDT qui y a joué un grand rôle puisqu’il est à l’origine des combats pour la déconfessionnalisation de la CFTC.
La laïcité représente un idéal politique qui garantit l’égalité et rassemble au-delà des appartenances. La progression de l’islam, souvent perçue comme « étrangère », en lien avec les difficultés sociales, ravive parfois les débats. Le Sgen-CFDT souligne cependant avec force :
Ce ne sont pas les religions qui heurtent la laïcité, mais les fondamentalismes.
Notre organisation plaide alors pour une approche essentiellement pédagogique :
- enseigner le fait religieux,
- renforcer la formation des enseignants,
- lutter contre les préjugés,
- reconnaître la diversité des héritages culturels.
La laïcité y est pensée comme un cadre commun, ouvert et protecteur.
Une laïcité de terrain, source de tensions et de dilemmes
Les témoignages publiés dans notre grand dossier de 2023 montrent un changement profond de climat. La laïcité n’est plus seulement un principe : c’est une pratique professionnelle complexe, parfois source d’isolement, de tensions et même de menaces.
Les personnels décrivent :
- des tenues religieuses/culturelles suscitant controverses et incompréhensions ;
- des revendications identitaires ou religieuses brouillant les repères ;
- des contestations de cours d’histoire, de SVT, d’éducation à l’égalité ;
- la peur d’être accusé de racisme ou d’intolérance ;
- des pressions extérieures, venant parfois de groupes organisés.
Les missions éducatives s’en trouvent fragilisées. Un mot revient dans les témoignages : l’incertitude.
Face à des dilemmes éthiques, les collègues manquent d’outils, de temps, et parfois de soutien. Le Sgen-CFDT note que les personnels exposés se sentent trop souvent « seuls » devant des situations sensibles où leur parole peut être déformée ou instrumentalisée.
Face à cette évolution, nous insistons sur deux points essentiels :
- Ne pas abandonner la laïcité à celles et ceux qui veulent la détourner. La laïcité ne peut devenir un outil d’exclusion, ni un prétexte à stigmatiser certaines populations.
- Réaffirmer sa finalité : protéger tous les élèves, émanciper, permettre de penser librement. La loi de 2004 n’est pas une loi de contrainte : c’est une loi d’éducation.
Les revendications sont claires :
- du temps dans le service pour réfléchir collectivement ;
- de la formation en présentiel, pour tous les personnels ;
- des espaces de parole pour les élèves ;
- la nécessité d’une politique forte de mixité sociale ;
- une meilleure protection institutionnelle face aux menaces.
La laïcité devient alors un enjeu de conditions de travail, de sécurité professionnelle, et de cohésion éducative.
La laïcité face aux menaces inégalitaires et autoritaires
En 2025, avec la montée de l’extrême droite, le débat s’élargit encore. Notre dossier Rallumer les Lumières analyse comment les idéologies inégalitaires, nationalistes et autoritaires attaquent simultanément :
- l’égalité des droits,
- la liberté académique,
- la liberté pédagogique,
- les savoirs scientifiques,
- les syndicats,
- et la laïcité elle-même.
L’extrême droite instrumentalise en effet la laïcité pour en faire un outil identitaire, détournant un principe qui vise l’universalité et la liberté de conscience. Les attaques contre l’École s’intensifient :
- campagnes de harcèlement en ligne contre des enseignants,
- pression sur les contenus jugés « sensibles » (migrations, égalité filles-garçons, histoire),
- réseaux organisés pour surveiller ou intimider (ex. « Parents vigilants »),
- attaques contre les chercheurs et les institutions scientifiques.
Ces méthodes ne sont pas isolées : le dossier montre comment elles reproduisent ce qui s’est passé aux États-Unis, où l’extrême droite a affaibli le ministère de l’Éducation, censuré des programmes et menacé des personnels.
L’École devient un enjeu stratégique, parce qu’elle est un lieu où se construisent l’esprit critique, la pensée rationnelle et la capacité à résister à la désinformation.
Pour une laïcité qui protège et émancipe
À 120 ans, la loi de 1905 n’a rien perdu de son actualité et de son mordant. Elle demeure la condition de la liberté de conscience, de la neutralité de l’État et de l’égalité des citoyennes et des citoyens. Mais son avenir dépend aujourd’hui de trois exigences :
- protéger les personnels confrontés aux tensions et aux pressions ;
- former et accompagner pour faire vivre une laïcité de dialogue et d’intelligence ;
- défendre la démocratie contre les idéologies qui veulent transformer la laïcité en instrument d’exclusion.
La laïcité n’est pas un héritage immobile : c’est un projet, un travail, une vigilance. Elle n’est ni la méfiance ni la contrainte : elle est la condition de l’émancipation.