Médecine scolaire, vers la décentralisation ?

Dans un courrier daté du 15 Janvier 2020, le Premier ministre demande aux préfets que soient étudiés les avantages et inconvénients de la décentralisation de la santé scolaire.

Un pilotage départemental permettrait-il d’améliorer la performance de médecine scolaire ?

Une décentralisation vers les départements de la médecine scolaire permettrait-elle d’accroître sa performance grâce à un pilotage départemental ? Telle est l’une des questions posées.

La performance dépend de l’organisation du travail, des effectifs : quel que soit le pilote !

Est-il utile de rappeler avant tout pour répondre à cette question que la performance dépend de l’organisation du travail, des effectifs : quel que soit le pilote !

Fonctionnaire, nous savons qu’il faut savoir faire sans moyens, notamment humains, mais pas au point de désamorcer tout le système et de détruire et la PMI et la santé scolaire !

Les effectifs dépendent de l’attractivité tant des missions que du salaire.

Que cela soit pour la PMI, comme pour la médecine scolaire, les effectifs dépendent de l’attractivité tant des missions que du salaire. Les missions sont variées et à ce jour encore attractives. Elles touchent à la promotion de la santé, demandent une expertise complexe qui permet de prendre en compte tous les milieux de vie, et de travailler sur chacun d’eux pour améliorer la vie et la santé des enfants et des adolescents, comme celles de leurs parents.

Les médecins de PMI, comme ceux de la santé scolaire, ont les salaires les plus bas des professions médicales. Cela ne convient désormais ni aux médecins les plus anciens qui ont perdu leur spécialité initiale et qui n’ont aucune porte de sortie si ce n’est à s’engager dans une recertification, ni aux plus jeunes qui se tournent vers d’autres activités salariées plus attractives.

L’état ne pourra pas faire l’économie de revaloriser ces professions de santé qui protègent et luttent spécifiquement contre tous les dysfonctionnements du développement d’un enfant et de son milieu de vie, plus ou moins visibles, plus ou moins bruyants, qui vont impacter durablement la santé si on les néglige.

L’organisation du travail est primordiale pour pouvoir exiger une performance.

L’organisation du travail est primordiale pour pouvoir exiger une performance. Elle doit permettre notamment les collaborations efficaces, les temps de concertation et la complémentarité des expertises. Le partage des compétences, pour une plus grande complémentarité afin de mobiliser les expertises nécessaires, est un réel atout pourvu qu’il assure, à tous les usagers, une qualité supérieure de service.

Bien sûr, positionner un médecin référent de sa collectivité, placé sous la tutelle de l’ARS comme un pilote incontesté de tout un service réorganisé de médecine scolaire, cela permettrait certainement à tous les médecins de ce service de décliner enfin une politique nationale de santé en faveur des enfants et des adolescents (dont on ne parle plus si ce n’est de lutter contre leurs troubles du comportement !) sur chaque département.

Pour mémoire, depuis 3 ans déjà, le SNAMSPEN/Sgen-CFDT et ses adhérents se sont positionnés en faveur d’un changement de tutelle pour un cadre interministériel et une tutelle du ministère de la santé qui donnerait réellement aux médecins les moyens organisationnels, matériels et financiers pour assurer leurs missions en faveur de la santé de l’enfant et de l’adolescent dans le milieu scolaire.

Dans ce cadre, un service de santé unifié entre PMI et médecine scolaire permettrait d’assurer un « service public de promotion de la santé des enfants, des adolescents et des familles ».

Médecins de PMI et médecins scolaires : des expertises et un champ de compétences complémentaires et non superposables.

A lire les questions posées par le Premier Ministre, la dérive risque d’être forte pour qu’un service dit unifié, entre PMI et santé scolaire, serve « la cause des 1000 premiers jours » axe fort de la stratégie nationale de santé : les médecins scolaires remplaceraient les médecins de PMI. Or médecins de PMI et médecins scolaires ont des expertises et un champ de compétences complémentaires et non superposables. Les médecins scolaires sont des experts de l’école et ont leur rôle propre dans la surveillance du neurodéveloppement et des fonctions d’apprentissage, du développement psychoaffectif de l’enfant et de l’adolescent, dans l’évaluation des troubles du comportement et des élèves hautement perturbateurs, dans l’initiation du parcours de soins, dans la construction d’un accueil et d’une scolarisation bien traitante des élèves différents, handicapés, dans le soutien à la parentalité, et la prise en charge précoce des dysfonctionnements…

Notre activité ne doit pas se transformer en une succession de bilans systématiques….

Nous refusons que notre activité clinique et de conseil technique, très étendue et diversifiée actuellement, se transforme en une succession de bilans systématiques notamment ceux de 4 et 6 ans. Nos collègues seront certainement mieux rémunérés en médecine salariée à la CAPM pour ces actes ou encore en médecine libérale !

Ce nouveau service de santé, s’il est construit et piloté à l’échelle départementale, devra néanmoins se bâtir sur un protocole national rédigé avec les professionnels et leurs représentants qui permettra de définir les actes délégués, les arbres décisionnels à suivre.

 

Des garanties indispensables

Des réserves importantes existent donc quant à un transfert aux collectivités sous la tutelle des élus. Des garanties seraient indispensables pour ce transfert aux collectivités :
  • La PMI disparaît actuellement sous la gestion des collectivités, faute de moyens financiers attribués à ces services par les départements
  • Le service public envers les populations, sous la gestion des collectivités, est très inégal suivant les territoires et les fonctionnements sont hétérogènes (PMI, MDPH, …)
  • Les choix des priorités d’activités pour les PMI dépendent des élus, tout comme les moyens financiers consentis aux fonctionnements de ces PMI
La décentralisation de la médecine scolaire ne pourrait donc se faire qu’à certaines conditions :
    • Les missions de la médecine scolaire décentralisée et de ses priorités, doivent être définies de façon nationale par le ministère de la santé et de la cohésion sociale pour agir avec équité sur tous les territoires, et chaque territoire, en ayant soin de s’articuler avec l’éducation nationale
    • L’action de la médecine scolaire se destinerait toujours au service des familles, et des communautés éducatives, comme la PMI le fait actuellement pour les plus jeunes enfants. Les liens avec les établissements scolaires n’en seraient pas plus distendus qu’actuellement puisqu’il n’y a plus assez de médecins scolaires.
    • Les moyens et organisations attribués à la réalisation des missions doivent être protégés et contrôlés par les agences régionales de santé (ARS), : la spécificité du médecin du travail de l’enfant et de l’adolescent à l’école ne doit pas disparaître !
    • Les financements pour ce service public doivent pouvoir être garantis par des financements strictement fléchés via les ARS. Ils doivent être pérennes et non soumis à un contrat d’objectif qui influencerait la pérennité des équipes et des budgets de fonctionnement.
    • Désormais, il existe un ONDAM spécifique aux établissements exerçant la psychiatrie, réparti au niveau régional par les ARS : pourquoi n’est-il pas possible de débloquer un ONDAM de prévention pour la santé scolaire et pour son public ciblé ?
    • Les médecins salariés de ce service transféré aux collectivités, conformément à l’article 4127-97 de code de santé publique concernant la médecine salariée, ne peuvent accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement horaire ou toutes dispositions qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité des soins.

 

Des questions en suspens … transfert de la médecine scolaire ou de la santé scolaire

Si le SNAMSPEN/Sgen-CFDT a envisagé le changement de tutelle des médecins scolaires pour chercher d’autres organisations du travail et de meilleures collaborations professionnelles avec des expertises enfin définies et respectées, nous connaissons la résistance des principaux syndicats infirmiers de l’éducation nationale à entrer dans une organisation de service de santé.

Il est aussi incontestable que nos collègues infirmier.e.s ont un rôle précieux dans les établissements scolaires, tant dans l’accueil des élèves que dans la conduite de projets de santé d’envergure sur leurs établissements scolaires.

Ne pas priver les établissements scolaires de personnels infirmiers

Il faut donc envisager de ne pas priver les établissements scolaires de ces personnels précieux pour les chefs d’établissement et la communauté éducative et recruter, pour le « service de l’enfant, de l’adolescent et de la famille », des personnels infirmiers particulièrement motivés pour, au même titre que les infirmières puéricultrices, travailler avec les médecins scolaires avec de nouveaux modèles de collaborations définies, à l’identique des modèles qui existent déjà entre médecins et infirmières puéricultrices en PMI (article 35bis du code de la santé publique pour les bilans de santé).

Et si on donnait le choix aux professionnels médecins et infirmiers d’évoluer vers deux options possibles : rester ou créer un nouveau service, chaque option ayant ses spécificités et ses missions ?

Le directeur de la DGESCO a reçu les syndicats de médecins scolaires le 4 février 2020. Devant l’état des lieux, il s’est engagé à un nouveau rendez-vous dans un mois pour traiter l’ensemble des problèmes un à un.

Un an s’est écoulé pour obtenir cette audience, alors qu’une promesse identique avait été faite en janvier 2019…

L’Éducation nationale va-t-elle laisser partir, si ce n’est ces personnels, les budgets qui y sont consacrés, notamment ceux affectés aux 500 postes vacants des médecins de l’Éducation nationale et dont les syndicats de médecins n’ont à ce jour toujours pas de réponse concordante entre le Ministère et les rectorats sur leur utilisation ; ce qui a été assuré au sénat, c’est que ces budgets destinés aux médecins existent.  Il n’y a pourtant qu’une poignée de ces emplois vacants publiée sur la « Place de l’emploi public » (ex BIEP).

Un nouveau rendez-vous dans moins d’un mois…

Si le Ministère de l’Éducation nationale souhaite nous garder, et pas seulement les budgets qui nous sont associés, nous devrions avoir dans moins d’un mois le nouveau rendez-vous annoncé par Monsieur Edouard Geffray, avec la DGRH et la DGESCO, pour des propositions tant sur les personnels (effectifs, évolution de carrière) que sur l’organisation des personnels de santé pour faire face aux missions et à leurs difficultés concrètes de réalisation…..sauf à vouloir faire que la médecine scolaire s’éteigne… Il faudra savoir partir avant.

 

Docteur Patricia COLSON

SG SNAMSPEN/Sgen-CFDT