[Une version abrégée de cet article est en ligne ici.]
La loi de modernisation du système de santé, le président Macron et encore récemment notre ministre de la santé, déclarent tous la prévention comme une priorité.
« La 5e et dernière priorité qui doit être la nôtre, dans la vie quotidienne de nos concitoyens, c’est de faire en sorte que les Français deviennent maîtres de leur santé. Nous voulons un système de santé qui nous empêche de tomber malade plutôt qu’un système de santé qui soigne bien, tout simplement. Nous voulons mieux prévenir », a dit le président Macron.
La nouvelle ministre de la santé, Agnès Buzyn, quant à elle, déclarait devant ATD Quart Monde : « Demain, nous investirons davantage pour prévenir que pour guérir. »
La prévention, un concept à clarifier et une remise en question des pratiques
Cependant la nouvelle loi de santé est restée centrée sur quelques actions phares. On se focalise sur le dépistage de certaines maladies, on remet en question les vaccinations, on propose quelques examens systématiques de santé que l’on a du mal à réaliser actuellement de façon systématique, faute d’acteurs et de budget. En effet, les moyens budgétaires pour la prévention se concentrent essentiellement sur les dépistages et les actions ciblées contre les vecteurs nuisibles à l'état de santé. Le budget pour la prévention, 5,9% des dépenses de santé (chiffre donné par notre ministre de la santé, reste très inférieur à celui des autres pays de l' OCDE.
Est-on certain aujourd’hui que le modèle qui consiste à déployer une campagne de lutte contre quelques maladies et leurs causes, plutôt que de développer de façon universelle un comportement expert en santé dès le plus jeune âge, est plus efficace et moins couteux ? Faut-il vraiment attendre le développement d'une pathologie fréquente pour envisager de lutter contre les facteurs et les conduites qui la favorisent ?
Ne serait-il pas plus efficace de concentrer les efforts en faveur d’une prévention globale permettant d' « agir pour », plutôt que de « lutter contre » ? de promouvoir des conduites adaptées dès l’enfance en prenant en compte l’environnement, plutôt que d’essayer de lutter contre des conduites inappropriées déjà bien ancrées chez l’adulte ?
Prévenir pour améliorer le niveau de santé : c'est avant tout à l'école qu'il faut agir
La transmission de connaissances pour prendre soin de soi doit se faire à l'école et pour tous, dès le plus jeune âge, avec un discours adapté au développement psychoaffectif de l'enfant et de ses conditions de vie. Ce sont les connaissances de base, comme le serait le code de la route pour bien conduire. Le code de la route ne souffre pas d'interprétations suivant les territoires ni de respect suivant « les ressources disponibles » : c'est ainsi qu'on conçoit malheureusement actuellement le parcours éducatif de santé à l'école, majorant ainsi les inégalités de santé. L'apprentissage de conduites adaptées pour conserver et développer son capital santé, la construction de l'estime de soi, l'acquisition d'habilités sociales pour faire face à ses pairs et à ses difficultés, la réussite scolaire sont les vecteurs essentiels de la santé de chaque citoyen de demain. Cela devrait être un droit assuré à chaque élève, qui ne saurait dépendre d’acteurs présents ou pas, de défaut de coordination entre les instances et les tutelles.
Ces habilités sociales, le savoir être et le savoir faire pour permettre aux jeunes élèves d’affirmer leurs choix face à leurs pairs, apprendre à évoluer dans un environnement pas toujours favorable à la santé, ne s’enseignent pas dans les livres, ni en cours magistral, mais à travers des temps d'échanges et d'animation, pour répondre aux questions diverses soulevées par les conduites et les problématiques des élèves. Il faut pour cela les inscrire dans l’emploi du temps des élèves. L’animation de tels groupes requiert l’intervention de professionnels formés en éducation à la santé et au développement psychoaffectif des enfants et des adolescents. Nous déplorons toujours l’absence d’une telle formation pour les enseignants. L’école compte peu de personnel ayant ces compétences précises pour prendre en charge ce type d’animation. Faute de personnel disponible et formé, les trois séances collectives qui doivent être organisées annuellement concourant à l’éducation à la sexualité dans les domaines affectifs, psychologique et social ne sont pas en place, malgré la circulaire du 17 février 2003.
Des actions et des acteurs souffrant d’un manque de coordination
Les priorités de santé de l’éducation nationale sont restées fixées par des circulaires sur les questions liées à la sexualité, aux conduites addictives, à la nutrition et à l’activité physique, à la visite médicale de 6 ans... Le parcours éducatif de santé n’a été introduit que récemment, complétant le comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté.
Dans ce nouveau cadre, intégrant toujours les mêmes priorités, il est difficile (si ce n'est impossible) de donner un sens à la succession des actions de prévention proposées de la maternelle au lycée. Les actions se réalisent rarement sur des besoins diagnostiqués mais plutôt sur l’offre des associations de prévention disponibles, ou les contacts des fédérations de parents d’élèves. Dans le primaire, le directeur orchestre, avec les fédérations de parents d’élèves, les actions en matière de prévention. L’infirmière et le médecin sont rarement conviés au déploiement d’un programme de prévention. Chaque école est indépendante pour ses actions, et cette indépendance est bien ancrée… Dans le secondaire, l’infirmier, sous la hiérarchie du chef d’établissement, n’a pas toujours le libre arbitrage de proposer ou d’orienter la politique de prévention dans son établissement. Quand il l’a, la volonté d’indépendance et d’autonomie professionnelle de l’infirmier fait souvent oublier l’avantage d’une collaboration avec le médecin scolaire qui connaît bien le territoire (au delà des établissements de l’infirmier), les besoins de santé et les actions faites ou à faire de la maternelle au lycée. La coordination faisant défaut, les actions de prévention sont malheureusement redondantes pour certains élèves (ou carrément absentes pour d’autres), ciblées trop fréquemment sur les risques (alcool, tabac, drogues, accidents de la route, écrans…) Arrivés au lycée, période de prise de risque pour leur santé, les élèves sont lassés de toutes ces actions, leur vraie préoccupation oubliée. Ils savent le dire : « La cannabis et l’alcool on connaît, mais quand est ce que vous vous occupez de notre bien être ? », fut la réponse à une de mes enquêtes de besoins en direction de lycéens d’une zone privilégiée…
Les dispositifs institutionnels dans le secondaire incitent pourtant à la participation active des lycéens, puis plus récemment de celle des collégiens, aidée par des personnes ressources motivées, au premier plan les acteurs de santé, les enseignants d’EPS, de SVT…
De formidables projets de santé et de citoyenneté naissent ici et là, de la sensibilité des uns et des autres et de leur capacité à fédérer de façon transversale tout ou partie de la communauté éducative. Ils ont depuis quelques années tendance à déborder des chemins du sanitaire pour s’étendre au développement durable. C’est ce type de projets que récompense chaque année l’association française de promotion de la santé scolaire et universitaire (AFPSSU). Pourtant, associer la communauté éducative autour des élèves pour des projets en faveur de la prévention n’apparaît pas comme une priorité dans le quotidien des établissements scolaires. On manque de personnels sensibilisés si ce n’est motivés, chacun ayant d’autres préoccupations prioritaires…
Les médecins de l'éducation nationale, porteurs d'un autre concept de prévention
L'institution scolaire se doit de donner à tous des savoirs construits de la maternelle au lycée, permettant d’acquérir « le code de la route » pour conduire à bien son capital santé : telle est la conviction des médecins de l’Éducation nationale. Ce n’est cependant pas à eux de réaliser de tels enseignements. Mais ils se doivent d'aider à la construction de tels parcours.
S’il est désormais accepté que la prévention doit être démédicalisée, et peut être l’affaire de tous, on voit bien qu’elle n’est pas investie par tous dans les établissements scolaires. On constate aussi que les priorités sont ailleurs et que la coordination et la lisibilité des actions fait gravement défaut.
La santé à l’école n’est plus une santé hygiéniste, de dépistage systématique. Elle trouve sa raison d'être dans la construction d’un climat favorable pour le bien être et la réussite de chaque élève, comme vecteur de santé du citoyen de demain. C’est cette politique qui a été portée par les médecins du service de promotion de la santé en faveur des élèves : une médecine de prévention, pour tous, qui s'assure de l'adaptation de l'élève fragile à son environnement et vice-versa. Visant à anticiper les problématiques, cette médecine de prévention permet aussi d’assurer des diagnostics sinon révélés trop tardivement par un échec scolaire ou un mal être, et de redonner ainsi une chance à l’élève de réussir et de regagner l’estime de soi, véritable facteur de prévention des conduites à risque. L’orientation précoce des élèves aux besoins éducatifs particuliers vers des prises en charge médicales ou de rééducation adaptées, après un diagnostic médical (et non avant !), tout comme la formation des personnels pour une école inclusive et de la réussite pour tous participe d'une médecine de prévention à part entière servant le citoyen de demain, comme toute la collectivité.
Finalement, la prévention de demain…
En valorisant le bien-être et la réussite, tout en assurant la promotion du capital santé, on ne se focalisera plus systématiquement sur les conduites à risque. Celles-ci peuvent faire partie de l'adolescence, mais prennent aussi leur source dans le mal-être, les conditions de vies difficiles, et l'absence d'éducation à la promotion de la santé dès le plus jeune âge.
Les acteurs non médicaux sont désormais très nombreux, alors que les médecins experts en santé publique et en prévention disparaissent : or, ils sont les seuls en capacité d’organiser et de coordonner la prévention pour la mettre enfin en ordre de marche… Avant tout parce qu’ils ont été formés au pilotage de projet de santé publique, parce que la santé, c’est leur priorité et la seule, parce qu’ils sont libres de toute influence financière et lobbying pour décider d’une politique de prévention adaptée aux besoins des usagers, parce qu’ils ne sont pas, eux, financeurs et évaluateurs en même temps des politiques de préventions qu’ils peuvent mettre en place….
Le rapport Flajolet sur la prévention, en 2008, dénonçait déjà le préjudiciable enchevêtrement des compétences et des missions de prévention. Il misait aussi sur une action renforcée des médecins traitants, mais 10 ans plus tard, on s’aperçoit que ceux-ci peinent à prendre le temps nécessaire pour une visite médicale globale de prévention au milieu des demandes de guérison et des contraintes administratives. Les actes remboursés en faveur de la prévention voient à peine le jour et restent extrêmement limités.
L'espoir donné par les propos de la ministre de la santé, des inquiétudes aussi...
La ministre de la santé a clairement énoncé la priorité donnée à la prévention. Pour autant, arrivera-t-elle à faire en sorte que les médecins de l'éducation nationale soient considérés comme des acteurs essentiels dans la construction de la politique de prévention, puisque ceux ci ne sont pas sous la tutelle du ministère de la santé ?
Arrivera-t-elle à impulser la présence de ces médecins sur tous les territoires, et à œuvrer pour débloquer les budgets nécessaires à la revalorisation de cette profession et au recrutement ? Existera-t-il une vraie politique de déploiement du service public en faveur des actions précoces de prévention ? Existera-t-il une possible coordination spécialisée des acteurs de l'éducation nationale, du milieu médical, sanitaire, des associations d'usagers et de prévention sur chaque territoire, pour assurer les mêmes droits à chaque futur citoyen?
Par ailleurs, 40 000 étudiants de la filière de soin (futurs médecins, pharmaciens, infirmiers) sont censés œuvrer en service sanitaire durant 3 mois dans les écoles (ou dans les entreprises) pour y faire du dépistage, de la prévention et de la sensibilisation.
Est ce la mesure qui permettra de venir à bout des dépistages sensoriels prévus à la visite médicale des 6 ans, qui ne sont plus faits à l’heure actuelle dans les écoles, faute de médecins scolaires et en raison du désengagement des infirmiers scolaires pour contribuer à cette visite ?
On ne peut penser que ces 40 000 étudiants seraient à même de remplir sur 3 mois les missions des médecins de l'éducation nationale. Cette expertise se mérite, qui nécessite de réussir deux concours, d'être en stage durant un an avec une formation à l'École des Hautes Etudes de Santé Publique, de bien maitriser, en plus des connaissances médicales, le milieu éducatif et la complexité de son administration... Non, décidément, la médecine scolaire, ce n'est pas que les yeux et les oreilles, c’est infiniment plus !
Les médecins de l'Éducation nationale, au service des citoyens de demain, veulent retrouver la cohérence de leurs missions de service public auprès de tous les élèves et continuer à agir pour la promotion de la santé. Ils doivent donc pouvoir articuler leurs activités avec les autres acteurs du service sanitaire, au-delà des clivages des instances et des ministères. Acteurs aujourd'hui malgré eux du renforcement des inégalités sociales et territoriales de santé, les médecins scolaires, soutenus par la communauté éducative, souhaitent réellement que le ministère de l'Éducation nationale, sinon le ministère de la santé lui-même, se dote de moyens budgétaires à même de mettre en œuvre une vraie politique de santé publique, individuelle et collective.