La revue CRAP – cahiers pédagogiques fête ses 80 ans, l’occasion pour la CFDT Education Formation Recherche Publiques de regarder ce qu’il est et ce qu’il représente pour de nombreux enseignant·es, chercheurs et chercheuses en France. Interview d’Alexandra Rayzal, sa présidente.
Nés au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale pour mettre en lumière les pédagogies nouvelles, les Cahiers Pédagogiques ont été la bible de nombreux enseignant·es pour la préparation de leurs séquences et réfléchir sur le système éducatif. Aujourd’hui, la concurrence avec les sites gratuits qui proposent des ressources pédagogiques est sévère. La revue n’en reste pas moins une référence pour de très nombreux collègues. Retours sur 80 ans d’existence, de pédagogies nouvelles, de dossiers sur le système éducatif.

Comment devient-on présidente du CRAP ?
Je suis professeure d’histoire et géographie dans un collège parisien. Je milite pour le CRAP depuis une vingtaine d’années. Après la période intense des débuts de carrière et des enfants en bas âge, j’ai eu envie de regarder autour de moi et me questionner sur mon métier, voir ce qui pourrait m’aider. J’ai découvert le CRAP par la revue, les Cahiers pédagogiques, que je lisais de temps en temps. Quand j’ai eu envie de m’y investir, j’ai été très bien accueillie et assez vite j’ai intégré le conseil d’administration. Comme pour beaucoup d’associations, quand tu y mets un doigt, c’est le bras entier que tu consacres, et c’est très bien ! Après quelques années au CA, j’ai intégré le comité de rédaction de la revue. Le travail de coordination des dossiers est particulièrement passionnant. En participant à la vie de l’association porteuse de la revue et aux rencontres d’été, j’ai été sollicitée pour entrer au bureau du CRAP. J’ai d’abord refusé par manque de temps et finalement j’ai été élue secrétaire générale il y a 4 ans. La période était compliquée du fait de la restructuration nécessaire de l’équipe du CRAP. Nous sommes arrivées avec le président, Gwenaël Le Guével, et le trésorier, Guillaume Touzé, avec le projet de faire évoluer la gouvernance. les difficultés étant critiques, nous avons dû faire des licenciements. La période fut très éprouvante. A la dernière Assemblée Générale élective, Gwenaël Le Guével, a fait savoir qu’il ne se représentait pas. Portée par la perspective d’une nouvelle équipe, j’ai accepté la présidence avec l’objectif de mener à flots ce beau bateau et le faire grandir.
Aujourd’hui, c’est quoi le CRAP – Cahiers pédagogiques ?
C’est d’abord une association de profs, mais pas que, passionnés de pédagogie et de questions touchant de près ou de loin l’éducation. L’association édite la revue et organise des rencontres annuelles en août. On propose aussi des colloques, des conférences ou des rencontres en régions. L’objectif est de se retrouver pour partager des réflexions, des projets, et aussi parfois des activités préparées par des profs à destination des élèves. Par exemple, l’année dernière on a fait une balade sociologique dans Paris qui a eu beaucoup de succès.
Comment réalisez-vous une revue ?
L’élaboration de la revue, c’est le travail du comité de rédaction. Il se réunit environ 5 fois par an. On y décide des thématiques qui seront traitées dans les numéros suivants. Fabriquer un numéro demande une année de travail. Deux personnes vont le coordonner, l’une devant appartenir au comité de rédaction. On essaie d’alterner les thématiques très générales sur le système éducatif avec d’autres plus disciplinaires. Le thème défini, les coordonnateurs choisis, le comité de rédaction détermine une lettre de mission qui résume la discussion de lancement. On y définit des axes à traiter, les éléments incontournables. Un appel à contributions est ensuite lancé sur le site. Chaque rédacteur potentiel envoie une note d’intention montrant les éléments qu’il/elle souhaite aborder. Les coordonnateurs peuvent aussi chercher des personnes pour rédiger une contribution notamment quand il s’agit d’aller solliciter des chercheurs. Il s’agit d’équilibrer les textes de praticiens (majoritaires) et des articles mettant en perspective des éléments plus théoriques. Pendant, plusieurs mois, on va collecter ces textes, aider à l’écriture, solliciter des entrées nouvelles, retravailler les jets envoyés par les auteurs. On fait un bilan d’étape en comité de rédaction au bout de 3 à 4 mois. A la date butoir, un super coordonnateur va relire l’entièreté du dossier pour essayer de l’harmoniser et faire les derniers ajustements rédactionnels. L’objectif est de rendre ce dossier publiable en travaillant la mise en forme, les intertitres, etc. Ce travail réalisé, le dossier arrive sur le bureau de la rédactrice en chef qui fait les dernières corrections. Un dernier aller-retour est fait avec les auteurs puis c’est l’impression et ensuite publié sur le site.
Tu as des numéros qui t’ont marqué tout particulièrement ?
J’avoue avoir une affection pour le numéro 571, l’alimentation à l’école, sujet original qui a pourtant du mal à trouver son public. Le numéros 528 sur les EPI au Collège a été très en phase avec les attentes des profs au moment de la réforme du collège en 2016. Celui que j’aime tout particulièrement c’est le numéro 582 sur l’humour à l’école. Cela permet de réfléchir à la place de l’adulte face aux élèves. L’humour permet de faire passer des choses et de dédramatiser des situations.
Un peu d’histoire : quelle est l’origine du CRAP ?
C’est la revue qui est née tout d’abord, en décembre 1945. Son nom était différent « Dossiers pédagogiques pour l’enseignement du second degré ». C’était une revue de l’éducation nouvelle ayant accompagné la réflexion de l’après-guerre sur les classes nouvelles, la façon de repenser la pédagogie, le système éducatif pour scolariser ensemble tous les enfants. Ces « Dossiers » deviennent en 1948 les Cahiers pédagogiques. Comme le rappelle Antoine Tresgots : « La revue est alors un bulletin de liaison entre les enseignants des classes nouvelles qui inventent une nouvelle forme d’enseignement du second degré en brassant des élèves des différentes filières qui existent alors et cherchent à éviter une orientation précoce en mettant l’accent sur les méthodes pédagogiques et l’observation des élèves. Dès le départ, la revue s’attache à associer théories et pratiques pédagogiques. Puis la revue étend ses sujets à tous les niveaux d’enseignement. D’abord portée par le ministère, elle s’en détache et elle est purement associative depuis 1972 (le CRAP a été fondé en 1963). Le numéro 602 vient de paraître, c’est une belle pérennisation finalement.
Le CRAP, selon toi, a-t-il apporté des changements à la façon d’enseigner des professionnel·les ?
Ce serait présomptueux de dire oui, mais je pense que le CRAP y a participé. Dans les années 50 – 60, les échanges pédagogiques étaient nombreux et les Cahiers pédagogiques ont mis en lumière ces discussions, ces prises de position sur les pédagogies nouvelles. Cette tendance a pu porter des projets. Le collège unique porté par l’éducation nouvelle, par exemple, est devenu l’établissement de la massification et non celui de la démocratisation. Un mouvement s’est arrêté au milieu du gué de par la faute du ministère. Cela explique à mon avis les difficultés que connaît notre système scolaire aujourd’hui. Il y a eu une timidité, un recul au moment de choisir ce que devait être ce collège unique. On a voulu en faire un petit lycée ce qui, à mon sens, est un échec. La revue, elle, existe encore et est très appréciée. Elle se diffuse mieux quand le Ministère est proche des lignes idéologiques que ce que l’on défend, porte, écrit. La tendance actuelle ne porte pas beaucoup à l’optimisme.
Pensez vous que les attentes du milieu enseignant aujourd’hui ont changé vis-à-vis de la pédagogie ? 
On a tous en tête le cliché du prof des années 50 : partisan des pédagogies nouvelles, syndiqué, à la CAMIF et à la MGEN. Je ne suis pas certaine que ç’ait été si vrai que cela. Il y avait par contre un esprit de corps qui a pour moi disparu. Les profs aujourd’hui sont le reflet de la société : de toutes tendances politiques, pédagogiques, l’image du prof est moins normée. Les difficultés que l’on a depuis quelques années à vendre la revue ne sont pas de notre fait. Celles et ceux qui nous lisent veulent lire une revue exigeante mais on voit monter dans la profession un certain consumérisme. Beaucoup veulent des choses toutes faites, adaptables immédiatement à la classe, une démarche encouragée par le fait que sur Internet, beaucoup de sites proposent des choses gratuites, clés en main tout au moins en apparence. C’est un peu attristant sur la réflexivité d’une partie des personnels ou leur éthique du métier, mais aussi sur les conditions de travail et la pression qu’impose l’intensification du métier. Nous, on garde notre cap car copier ce que font les autres, notamment ces sites gratuits financés par des fondations pas forcément en accord avec nos valeurs n’a pas d’intérêt. Nous sommes convaincus de la « valeur ajoutée » de ce que nous publions, de la nécessité réelle de la réflexion pédagogique.
Quel est ton regard sur notre système éducatif ?
Notre système éducatif globalement ne fonctionne pas si mal. Il arrive à former des millions d’enfants tous les ans. Je trouve que l’on dramatise beaucoup son état. Après, il y a de vrais problèmes qui tiennent à un manque de réflexion de fond : c’est quoi le collège que l’on veut vraiment ? La maternelle doit-elle être une prépa-CP comme ce que dit le Ministère ? Pour moi, beaucoup de difficultés relèvent du manque de sens. On a une société qui ne sait plus ce qu’elle demande à son École donc qui lui demande tout et n’importe quoi. On a des profs qui croulent sous les injonctions contradictoires et des demandes impossibles. L’École ne peut régler tous les problèmes de la société. Les réformes qui se succèdent démobilisent les agents et installent une résistance passive. Pour moi, cela vient du manque de sens. Le matraquage fait sur les fondamentaux est une hérésie. Les enfants ont aussi besoin de s’ouvrir à autre chose : les arts, l’EPS, les sciences…Il faut leur donner envie de venir découvrir à l’école.
Et le Lycée ?
J’ai vécu la réforme du lycée de ma place de prof de collège. Si l’idée d’un lycée modulaire où les élèves peuvent choisir leurs spécialités était séduisante, la mise en pratique a été catastrophique. Détruire les groupes classe a été une mauvaise idée, les élèves ont besoin de groupes d’appartenance et les profs besoin de les connaître et de les suivre. Il faut par contre mener une vraie réflexion sur la place du bac, sur les processus d’orientation dans le supérieur. Actuellement, l’aspect anxiogène et consumériste du lycée s’est accentué.
Peux-tu nous parler les rencontres du mois d’août organisées par le CRAP ?
C’est avant tout un moment de sociabilité chaleureuse dont on a besoin dans la société en général. Ce sont des ateliers de travail pendant une semaine. On y propose de la réflexion professionnelle sur des sujets divers, mais toujours en lien avec l’éthique du métier. Un groupe interne est chargé de toute l’organisation : lieu, intendance, ateliers, choix des intervenant·es, animations, tout cela bénévolement. On lance les inscriptions au début du printemps. On a des ateliers dits «thèmes» plutôt réflexifs. On a aussi des ateliers « activités » plus récréatifs mais avec en toile de fond l’idée d’exploiter pédagogiquement pour les élèves. L’idée est de se mettre dans la peau d’un·e élève qui découvre une activité qu’il ou elle ne connaissait pas. Le nombre de participants varie entre 60 et 100 (y compris une vingtaine enfants des participants entre 5 et 15 ans) d’une année sur l’autre.
Comment tu vois les CRAP dans 10 , 20, 30 ans ?
D’abord, j’espère que l’on existera toujours. Le CRAP a toujours traversé des crises existentielles. Par le passé on s’en est toujours sorti donc faisons le pari que ce sera aussi le cas si cela arrive. La revue continuera-t-elle d’exister sous forme papier ? L’avenir le dira. Pour le moment, oui, car beaucoup de gens sont encore attachés au papier. Je pense que la dimension « collectif associatif » du CRAP perdurera même si on constate une certaine désaffection dans la société pour cette forme d’engagement. Pour moi, les personnels vont y revenir car le besoin est de plus en plus prégnant. Trouver des collectifs soutenant est très important. C’est d’ailleurs là la force du CRAP : faire collectif pour porter, aider et aller toujours plus loin.