Pour Bruno Poucet, Professeur en sciences de l’éducation à l'université de Picardie Jules Verne, les modalités d'exercice du métier enseignant ont changé à partir des années 1970, il ne s'agit plus de hiérarchiser les élèves mais de les aider à faire des choix qui correspondent à leurs aptitudes...
Entretien initialement publié dans Profession Éducation – le mensuel de la Fédération Sgen-CFDT n°258 – Janvier 2018
Il ne s’agit plus de hiérarchiser les élèves comme par le passé…
Les enseignants sont confrontés à des transformations importantes dans le système éducatif, y compris dans le premier degré. L’impact sur leur identité professionnelle est réel. Jadis, les maitres du primaire triaient les élèves. L’échec scolaire ne posait pas problème : le travail non qualifié était important. À partir des années 1970, les choses changent : la désindustrialisation fait des ravages, échouer devient dramatique.
Les enseignants du primaire préparent désormais au second degré tous les élèves et doivent les faire réussir : ils ne les classent plus, mais les aident à progresser, à leur rythme, et évaluent leurs compétences. Or, ils ne disposent pas toujours des moyens pédagogiques de cette réussite et cela les interroge professionnellement.
Quant aux professeurs du second degré, ils ont pris en pleine face la massification : spécialiste d’une discipline, une grande partie d’entre eux a compris que des tâches nouvelles les attendaient : gestion des conflits, capacité à imposer son autorité, relation avec les parents, organisation d’une équipe pédagogique, modalités d’évaluation, orientation professionnelle, lien avec l’enseignement supérieur.
Tout cela change les modalités d’exercice du métier. Il ne s’agit plus de hiérarchiser les élèves comme par le passé, mais de les aider à faire un choix qui corresponde au mieux à leurs aptitudes et à leur liberté.
Les universitaires ont dû également s’adapter : une partie des étudiants éprouvent de grandes difficultés à s’orienter. Leur rapport au savoir est différencié. Certains sont pleinement engagés, d’autres totalement dégagés. Cela interroge des enseignants qui sont aussi des chercheurs, créateurs de savoirs nouveaux. L’enseignement supérieur français est toujours à deux vitesses. Or, le métier n’est pas le même : gérer un fl ux important d’étudiants ne signifie pas la même chose que de faire cours à une élite sélectionnée.
En face d’eux, les enseignants ont de plus en plus souvent un groupe de pairs qui a sa propre culture, ses propres règles de fonctionnement. Mais les élèves attendent beaucoup des enseignants : une injustice est toujours très mal vécue.
Peu à peu – au moins dans l’enseignement scolaire –, les enseignants travaillent davantage ensemble. Ils n’ont guère le choix compte tenu des contextes parfois difficiles. En revanche, à l’université, pour l’essentiel, le travail reste largement individualisé, voire individualiste. C’est lié, en partie à la parcellisation et à l’extrême spécialisation des disciplines.
Dans l’avenir, de manière différente selon les degrés, les enseignants feront face à des élèves connectés, de plus en plus en lien avec l’univers de l’information. Il appartiendra aux enseignants de faire de ces informations des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être. De travailler ensemble sur des objets de savoir à partir d’approches pluridisciplinaires. Pour restituer de la complexité là où règne le simplisme.
Pour aller plus loin :
- Dossier complet – Enseigner, former de la maternelle à l’université.